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Depuis quelques années nous voyons émerger de nombreux courants susceptibles de nous mener vers un idéal de bien-être, un saint Graal d’un bonheur… pas toujours accessible.
Ce besoin viscéral à se sentir heureux est en train de devenir tout le contraire de ce qu’on tente d’obtenir : cela génère de la frustration, voire même la dépression !

La Finlande, le Danemark, la Suisse et l’Islande sont classés parmi les pays les plus agréables à vivre. Là-bas, selon le classement du World Happiness Report 20211 dévoilé en mars dernier, les gens semblent être les plus heureux d’Europe. La France est en 21ème position mondiale, loin derrière l'Allemagne, ou derrière le Costa Rica.

En revanche, à force de parler de bonheur et de bien-être, d’épanouissement et de réalisation de soi, en poussant à trouver sa voie ou sa mission de vie, cela crée une pression insoupçonnée sur chacun d’entre nous. On oppose les « heureux » face aux « malheureux » et cela en devient une source d’angoisse pour ceux qui n’y arrivent pas. Être heureux est devenu une pression sociale qui devient insupportable. À force d’être en recherche d’épanouissement, c’est tout l’effet contraire qui se produit. Un effet obsessionnel d’engrange. Ne pas arriver à être heureux crée un effet de honte ou d’incapacité mentale ou émotionnelle. Et la honte a un pouvoir destructeur et étouffe tout courage qui reste en soi ! L’idéologie de la pensée positive peut avoir comme effet pervers possible de faire reposer toute la responsabilité d’une situation sur l’individu qui finit par culpabiliser.

Une étude récente explique que l’on se concentre sur le bien-être que l’on « devrait » ressentir, celui que la société attend de nous, plutôt que sur nos émotions actuelles.  « Le niveau de bonheur que les individus se sentent obligés d'atteindre peut-être inaccessible et révéler des différences entre la vie émotionnelle d'un individu et les émotions que la société approuve », explique le Dr. Egon Dejonckheere, le scientifique néerlandais à la tête de l’étude qui m’a inspiré cet article2.
« Le bonheur est une expérience précieuse, et les sociétés veulent que leurs citoyens soient heureux. Bien que cet engagement sociétal semble louable, le fait d'insister excessivement sur la positivité peut créer une norme émotionnelle inaccessible qui, ironiquement, compromet le bien-être individuel », ont écrit les auteurs ce cette recherche.

Pour mener à bien leur étude, les scientifiques ont interrogé 7.443 personnes de 40 pays sur leur bien-être émotionnel, la satisfaction à l’égard de leur vie (bien-être cognitif) et leurs troubles de l’humeur (bien-être clinique). Ils ont ensuite examiné comment ces réponses différaient en fonction du taux de bonheur des pays.

Stop à la dictature du bonheur et du bien-être ! Et l'optimisme là dedans ?
Stop à la dictature du bonheur et du bien-être ! Et l'optimisme là dedans ?

LES REVERS DE LA PENSÉE POSITIVE

Les courants New Age ou Nouvelle Pensée ajoutent, eux aussi du poids à cette pression sociale. Alors fleurissent de nombreuses méthodes, outils et protocoles pour nous rendre plus heureux. Ces idéologies venues des quatre coins du monde promettent succès, prospérité et bonheur. 

Prenons « Loi de l’Attraction », par exemple, issu du livre « Le Secret », qui n’est au fond qu’un nouvelle forme de religiosité où on remplace Dieu par « Univers », prière par « demande », bénédiction par « aimant », foi par « vibration » faisant la fausse promesse d’avoir le pouvoir d’attirer tout ce qu’on désire. Mieux encore : on vous affirme que c’est une règle de physique comme la gravité !

Selon certains experts de la loi de l’Attraction, on pourrait tout attirer dans la vie : le succès, la réussite professionnelle, l’amour, la santé, l’argent… Vous pouvez devenir le magicien de votre vie. D’ailleurs dans le livre « Le Secret », on vous suggère qu’il existe un « génie » qui exauce les vœux,... tous les vœux.

Les pensées et les émotions provoqueraient ou modifieraient directement des événements extérieurs. Par leurs seules forces et vibrations que vous générez… Si c’était vrai, ça se saurait ! Pire : quand ça ne marche pas… ça frustre et culpabilise vous n’avez pas les bonnes énergies et donc émettez les mauvaises vibrations.

Si certains témoignent de la puissance de cette suggestion, elles se sont avérées efficaces en raison de l'effet placebo qu’elle engendrent. Au fond, cette loi de l’Attraction est un mythe, mais un mythe qui fait du bien. Elle est tellement simple à comprendre, liée à une dose de mysticisme, d’ésotérisme qu’elle est généralement acceptée (d’ailleurs l’ésotérisme fait partie intégrante de la création du mythe autour du Secret).

« Nous ne sommes quand mêmes pas naïfs au point de ne pas avoir remarqué qu’il était préférable et plus agréable de penser positivement. Mais s’il suffisait de le vouloir pour y parvenir, comme le suggèrent les tenants de la pensée positive, nous n’aurions tout simplement pas besoin de ces livres ! » dit Ilios Kotsou dans son livre « Éloge de la lucidité ». Il est regrettable que les croyances en une pensée magique soient à même de susciter des attentes de guérison irréaliste qui peuvent amener une personne malade à négliger ou abandonner un traitement prescrit par un médecin.

Stop à la dictature du bonheur et du bien-être ! Et l'optimisme là dedans ?

ET L'OPTIMISME DANS TOUT ÇA ?

Vous pourriez me dire : « Mais Michel, tu prônes l’optimisme depuis des années et maintenant tu nous parles de dictature du bonheur et des dangers de la pensée positive ? »

Eh bien pourtant non ! Laissez-moi contextualiser ma démonstration :
Je ne remets pas en cause la pensée positive, mais seulement la façon dont elle est appliquée ou enseignée comme moyen magique pour atteindre ses objectifs. Cette magie qui permet de tout avoir sans efforts ni notion de temporalité (car le succès, ça demande du temps, parfois d’échouer de nombreuses fois, d’investir en soi ou en son entreprise et on voudrait tout tout de suite).

Ce qui me dérange, c’est ce qu’on fait de la pensée positive et tous les mythes que l’on crée autour de cela. Il est difficile de maîtriser ses pensées, en revanche, l’optimisme c’est être maître des interprétations que l’on fait de ce qui arrive. Nuance.
On ne maîtrise pas ce qui de passe à la télé, mais on a une télécommande qui nous permet de changer de chaîne ou de l’éteindre. On peut se plaindre d’une télé pourrie, mais nous en avons la gestion nous-même ! Cette allégorie illustre bien mes propos : nous vivons dans un monde pourri, mais je décide de me concentrer sur ce qui m’arrange, sans être dans le déni.

On peut se plaindre de la médiocrité des réseaux sociaux, mais qui prend le temps de sélectionner ou désélectionner ses notifications ou abonnements de certaines personnes ou pages ?


Ce n’est pas ma pensée qui crée les événements autour de moi, mais ce que je décide de faire avec ces événements qui fait toute la différence.

Imaginez un instant : il nous suffirait à tous de penser très fort qu’il n’existe plus de pauvreté ni de guerres dans le monde pour qu’elles soient éradiquées de notre quotidien ?
Serions-nous si peu à vouloir cette paix et prospérité pour que cela mette fin à ces drames ?

Se contenter de dire « tout ira bien, tout ira bien, on y croit, on y croit » c’est de la superstition et de l’optimisme béat.

L’optimisme c’est être maître de ses actions en commençant par influencer, guider ses pensées, les orienter vers un mode « solutions », « possibilités », « opportunités », « transformation » qui pousse enfin à l’action. L’optimisme c’est la lucidité de l’action, comme j’aime le dire dans mes conférences.

L’optimisme est un prisme, un filtre, comme ceux qu’on utilise sur Instagram. Il part d’un fait, d’un événement qui est un point de départ. Ce point de départ, disons que c’est une « information », dénuée d’interprétation. Et tant que cette information n’est pas traitée (comprenez « interprétée ») par le cerveau, elle reste neutre.
« Il y a eu un accident sur le carrefour en bas de chez moi », c’est une information.
« C’est atroce ! », sans autre contexte que cette information, c’est déjà une transformation de l’information.
Un événement, une information est grave ou ne l’est pas à partir du moment où on lui donne un sens, une raison, une interprétation.

Accueillons toutes nos émotions sans chercher à les maîtriser (on a peur de ce qu'on ne maîtrise pas, c'est aussi pour ça que nous sommes superstitieux : ça nous permet de donner du sens à ce qu'on ne comprend pas, à ce qui nous échappe). Laissons-leur, à chacune, le temps de s'exprimer, elles ont quelque chose à nous dire. Puis, ensuite, y porter un regard optimiste pour les transformer en actions qui nous feront du bien.

Nous ne restons jamais neutres face aux informations qui nous entourent, c’est le propre de notre fonctionnement humain. C’est le propre du fonctionnement cérébral. Tout est lié à nos émotions, nos perceptions, notre culture, notre éducation, notre expérience de vie, notre état d’âme, notre santé aussi. Et le cerveau traite toutes ces informations avec ces données cérébrales, ces souvenirs, ces émotions, les contextes qu’il connaît… ou pas.
Cette tendance comportementale s’appelle « le biais d’optimisme ».

Stop à la dictature du bonheur et du bien-être ! Et l'optimisme là dedans ?

Ce biais, ce prisme, ce filtre, ainsi que d’autres éléments de notre connaissance, agissent sur notre logique, nos jugements, nos décisions et donc sur notre comportement. Non, le « réalisme » n’est pas une information. D’ailleurs, personne ne peut être « réaliste » 24h24.

Quelle est l’origine de ce biais d’optimisme ?

Une équipe de recherche de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) et de l’École Nationale Supérieure (ENS) s’est penchée sur cette question en testant plusieurs hypothèses3 :

Est-il lié à nos croyances sur les évènements futurs ?

Est-il dépendant d’un phénomène d’apprentissage ?

Pour aller plus loin, les chercheurs ont étudié si ce biais est lié ou non aux circuits cérébraux de la récompense, en analysant l’activité cérébrale grâce à l’Imagerie par Résonance Magnétique. Les résultats révèlent que l’activité cérébrale au niveau du circuit de la récompense est presque deux fois plus importante chez un sujet optimiste par rapport à un sujet plus réaliste, à récompense monétaire égale. Il existerait donc deux types de profils chez les êtres humains : les optimistes et les réalistes.

Cette étude fournit une origine neuropsychologique à l’optimisme et met en avant l’importance de l’apprentissage dans les comportements fondamentaux.

L’optimisme est un moteur extraordinaire de l’action. Il nous permet, certes, parfois de tricher avec la réalité, mais nous permet de construire, de reconstruire, de rebondir, faire preuve de résilience parce que nous décidons de donner un sens positif à ce qui nous arrive. Il existe une vraie biologie de l’optimisme, c’est notre cerveau qui génère de l’espoir et nous pousse à aller de l’avant, tout en conscience des illusions qu’il peut créer.

Oui, je crois profondément aux pouvoirs de l’optimisme d’action, celui qui fait se poser les bonnes questions, pousse à la curiosité, la vigilance, celui aussi qui nous insuffle qu’il est bon de se foutre la paix avec cette dictature du bonheur, celui qui nous dit qu’il est bon de ne pas se mettre en danger permanent pour vivre des émotions fortes, celui qui nous dit qu’il est temps de s’arrêter, d’aimer, d’admirer, de se reposer, de contempler, se s’émerveiller, de chercher, d’agir, ce faire preuve d’audace, de prendre sa vie en mains, de transformer le pire en meilleur, celui qui me fait me poser les questions ouvertes qui mènent aux solutions.

Réferences :
1 https://worldhappiness.report/ed/2021/

2 https://www.nature.com/articles/s41598-021-04262-z?utm_medium=affiliate&utm_source=commission_junction&utm_campaign=3_nsn6445_deeplink_PID100115541&utm_content=deeplink
3 https://presse.inserm.fr/et-si-loptimisme-sapprenait/27716/
4 « Tous Programmés pour l’optimisme », Tali Sharot, éd Marabout

 

Tag(s) : #Articles bien être
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