Je me souviens...
Il y a une quinzaine d’années, j’étais en Normandie pour une tournée professionnelle. Je ne pouvais pas passer à côté des nombreux cimetières militaires qui longent la côte qui forment le mur de l’Atlantique des côtes normandes.
Poussé par une curiosité, nourrie par une volonté d’honorer les soldats tombés le 6 juin 1944, je me suis arrêté dans plusieurs de ces cimetières. La route m’a alors conduit jusqu’au cimetière américaine de Coleville-sur-Mer qui surplombe majestueusement la falaise de la plage d’Omaha Beach.
A l’entrée du cimetière, on ne peut éviter le monument aux morts et sa statue imposante représentant un soldat fauché par les balles nazies.
On ne peut alors rester indifférent face à toutes ces croix latines alignées sur ces 70 hectares... C’est alors que je me suis senti petit,... tout petit au milieu de ces 9387 stèles de marbre blanc que le soleil rendaient parfois aveuglantes.
Une famille américaine était sur les lieux. De loin je les observais, je les voyais rendre hommage à ce qui, je pense, devait être un proche, un membre de la famille, un grand père, un oncle, un frère, un cousin, je ne sais pas. Peu importe, ils étaient là pour honorer l’un des leurs tombés pour que nous puissions être libres, libérés de ce régime totalitaire, obscur, noir, diabolique, abominable, monstrueux, meurtrier.
Ensemble ils ont déposé une couronne de fleurs.
Je continuais à les observer et l’un d’eux frottait ses mains sur le texte gravé dans la croix de marbre blanc. Je ne comprenais pas ce qu’ils étaient en train de faire et, toujours curieux, je m’approchais respectueusement pour enfin comprendre qu’ils avaient pris du sable de la plage en contrebas pour les frotter dans les reliefs des lettres du nom de la victime pour devenir des lettres d’or. Quelle symbolique ! J’ai été touché par ce geste riche en symbolisme et émotions.
Je les ai laissé se recueillir et je m’enfonçais vers le centre de ce sanctuaire silencieux. Zigzagant entre les croix chrétiennes et les quelques étoiles de David, seuls le vent et le bruit des vagues au loin venaient enrichir la contemplation.
Une fois arrivé à ce que je considérais être un point central du lieu, je me suis arrêté. Lentement j’ai fait un tour sur moi même avec le désir profond de m’imprégner du nombre incroyable, à perte de vue, de stèles blanches, alignées avec perfection. La perspective était aussi majestueuse qu’impressionnante. C’est alors que je me suis concentré à l’idée que chaque stèle représentait une âme, une personne, un jeune homme de parfois moins de 20 ans, venu de chez lui pour libérer notre peuple de l’oppresseur... L’émotion grandissait dans mon cœur jusqu’à toucher le plus profond de mon être.
Des larmes coulaient sur mes joues. « Tous ces jeunes hommes sont morts pour moi, pour qu’aujourd’hui je puisse vivre libre, libre de penser, libre de bouger, libre de vivre ma foi, libre de partager mes idées, libre de ne pas être d’accord, libre d’exprimer ma joie ou ma douleur, libre d’aimer, libre d’être ce que je suis, LIBRE !!!
C’est alors que j’ai réellement pris conscience du prix de cette liberté. De la souffrance et de ces centaines de milliers de sacrifices... pour moi... Un profond sentiment de gratitude s’est alors emparé de moi. Mes larmes se faisaient encore plus lourdes, mais cette fois emplies de reconnaissance. J’ai alors chuchoté en regardant autour de moi : « merci, merci, merci ! » J’avais compris l’ampleur de cet événement marquant qui a marqué l’Histoire de l’Humanité, j’étais au coeur de cette Histoire, elle venait de prendre vie... dans mon âme pour ne plus jamais disparaître.
Il y a 70 ans, le 6 juin, des dizaines de milliers d’hommes sont morts, fauchés par les nombreuses balles et bombes, pour qu’aujourd’hui je puisse être... heureux.
Merci à eux, ma gratitude est profonde et immuable.
Penser à ce jour m’aide à relativiser les moments de vie où je me sens blessé par des futilités. Tout prend alors un autre sens : je vis !
Michel POULAERT